Nous connaissons tous aujourd’hui un quotidien façonné par l’omniprésence des écrans. Ils nous servent d’interface pour le travail, pour la communication, la diffusion d’informations, l’éducation ou encore pour le divertissement. Et leur prolifération a suscité de nombreuses réactions en chaîne : pratique extrême, addiction, isolement, déclin des compétences cognitives et comportementales chez les jeunes. Pourtant, est-ce vraiment eux les responsables de ces effets négatifs ?
Plutôt que de pointer aveuglément du doigt les écrans, examinons comment certaines pratiques commerciales ainsi que les réseaux sociaux actuels et leurs algorithmes façonnent nos comportements. Conçus pour capter notre attention et la retenir par tous les moyens, ces systèmes exploitent des mécanismes psychologiques qui favorisent ces effets négatifs mentionnés, notamment par des stratégies de récompense dopaminergiques. Les écrans sont en réalité employés par des forces beaucoup plus complexes.
Comme je le rappelle souvent dans mes cours, si vous n’êtes pas en train de payer pour le produit, alors c’est probablement vous le produit.
Tristan Harris, ancien designer éthique chez Google le rappel aussi et ajoute :
« Les algorithmes sont conçus pour maximiser le temps d’attention, en exploitant les biais cognitifs comme l’effet de renforcement ou la gratification immédiate. »
Source : Conférences et interviews, documentaire « The Social Dilemma » et le « Center for Humane Technology » (https://www.humanetech.com).
L’écran en tant que tel, en tant qu’outil, n’est pas intrinsèquement mauvais ; même chez un enfant en bas âge. Cependant, son usage l’est trop souvent. Comme un livre pouvant tout aussi bien servir à instruire et à faire rêver qu’à encourager des croyances radicales ou des idéologies farfelues. Un écran peut tout autant être une fenêtre ouverte vers l’ignorance apathique ou une porte vers le savoir et l’échange culturel. Lorsqu’on observe une personne sur son écran, celle-ci peut tout aussi bien être en train de se noyer dans le défilement sans fond et sans but de vidéos sur TikTok qu’en train de suivre un cours de langue, lire un article de qualité, échanger avec un ami ou encore préparer un contrat pour sa nouvelle entreprise. Ce n’est pas l’outil qui détermine l’effet, mais l’intention et le contexte de son usage. La question devient donc « comment utiliser ces outils de manière consciente et responsable ? ».
La réappropriation de nos esprits commence déjà par le choix des applications que nous décidons d’installer ou non sur nos propres appareils. Elle passe aussi par la différenciation des usages selon les supports. À ce sujet, je suis heureux de voir de plus en plus de personnes (et jeunes !) lire de — vrais — livres dans le train. Si heureux d’ailleurs que j’ai souvent l’envie d’aller discuter avec elles. Car la vraie question n’a jamais été de se demander si l’écran remplacerait un jour les livres. Ils ne sont pas comparables et les livres sont des alliés précieux et irremplaçables pour vivre des expériences immersives différentes qui appellent à la fois à une forme de concentration unique et à une imagination différente, sans interférences numériques constantes (je pense aux notifications). Encourager leur lecture est un moyen efficace contre l’omniprésence des écrans pour tout faire.
Et plutôt que de prôner pour un rejet pur et simple des technologies, il s’agit surtout d’éduquer les utilisateurs, jeunes comme moins jeunes, à un usage plus critique et réfléchi. Cela implique l’introduction d’un cadre où les technologies sont utilisées comme un outil parmi d’autres, et non comme une fin ou un moyen exclusif.
Les écrans ne sont ni bons ni mauvais. C’est en notre matière de les utiliser que les impacts se détermineront. En comprenant mieux le fonctionnement des réseaux sociaux et de leurs algorithmes par exemple, nous pourrons prendre de meilleures décisions et apprendre à mesurer et modérer nos usages. Par l’éducation et la conscience plutôt que la consommation frénétique insouciante, nous pourrons réconcilier notre bien-être avec et malgré ces outils.
Ce plaidoyer souhaite encourager une approche équilibrée et plus nuancée. Je reconnais les nombreux défis posés par l’usage frénétique des technologies numériques. Et je crois que le potentiel positif que ces technologies numériques nous apportent doit être revalorisé. En redéfinissant notre rapport aux écrans, nous pouvons commencer à espérer créer un avenir où l’outil et l’utilisateur pourront coexister plus harmonieusement, au nom du bien être commun et non celui du profit de quelques entreprises.